La chaleur record en Sibérie " presque impossible " sans réchauffement climatique
16/07/2020 La Sibérie a subi une vague de chaleur exceptionnelle le mois dernier. Le mercure a atteint des niveaux jamais mesurés au-delà du cercle polaire avec 38 °C mesurés à Verkhoyansk le 20 juin dernier.
Une étude scientifique du World Weather Attribution à laquelle Météo-France a participé vient d'attribuer de façon très nette ces extrêmes au réchauffement climatique causé par l'homme : ces événements de chaleur record auraient été presque impossibles dans un climat non réchauffé.
Yoann Robin, statisticien-climatologue à Météo-France, a contribué à cette étude marquante. Entretien.
38 °C en juin au-delà du cercle polaire, des températures moyennes en Sibérie supérieures aux normales de 5 °C depuis le début 2020… Ces extrêmes interpellent. Comment avez-vous procédé pour les analyser ?
Yoann Robin : " Nous avons mené deux analyses en parallèle. Nous avons analysé d'une part les 38 °C atteint le 20 juin à Verkhoyansk, en Sibérie en étudiant les températures maximales quotidiennes atteintes en juin sur cette station depuis 1926. Ces 38 °C sont tout à fait exceptionnels. Avoir une telle température en juin ne peut se produire qu'une fois tous les 140 ans… a minima !
D'autre part, nous avons travaillé sur les températures moyennes dans cette région de Sibérie entre janvier et juin, depuis 1979. Là encore, les résultats sont édifiants : la durée de retour de cet épisode est plus que centennale, elle atteint 130 ans.
La probabilité qu'un tel événement se produise là, au cœur de la Sibérie, était donc extrêmement faible…"
38 °C atteint le 20 juin 2020 à Verkhoyansk, en Sibérie.
Et pourtant, c'est arrivé. Comment en tirez-vous la conclusion que ces épisodes de chaleur extrême sont liés au réchauffement climatique ?
Yoann Robin : " Samedi 20 juin, 38,0 °C ont été mesurés à Verkhoyansk, au nord de la Sibérie, une température supérieure de 17 °C aux normales de saison. Du jamais vu à cette latitude aussi au nord de la planète. Depuis le début de l'année 2020, la Sibérie subit une vague de chaleur sans précédent, avec des températures moyennes supérieures de plus de 5 °C à la normale de janvier à juin...
Nous avons calculé la probabilité que de tels événements se produisent dans le climat actuel, et nous l'avons comparé à la probabilité qu'ils se soient produits dans le climat passé non modifié par l'homme en prenant pour référence l'année 1900, où on suppose l'influence humaine négligeable.
Il en ressort que le risque de chaleur prolongée qu'a connue la Sibérie de janvier à juin de cette année a été multiplié par au moins 600 sous l'influence du changement climatique.
Ces épisodes extrêmes auraient été presque impossibles dans le passé. Leur occurrence est clairement attribuée au réchauffement climatique d'origine humaine.
En terme d'intensité, le record de Verkhoyansk aurait été 1,6 °C moins chaud dans le climat d'il y a un siècle. La vague de chaleur en Sibérie depuis le début de l'année aurait quant à elle été 4 °C moindre…"
Ces résultats sont saisissants. Vous y attendiez-vous ?
Yoann Robin : " Oui et non ! Ces résultats sont frappants . Mais ils sont en cohérence avec l'évolution actuelle du climat.
Au XXe siècle, la température moyenne du globe a augmenté d'environ 0,9 °C et le climat mondial continuera de se réchauffer dans les prochaines décennies. Ce réchauffement n'est pas homogène : l'Arctique est la région du globe la plus touchée. Les températures y augmentent deux fois plus vite qu'ailleurs.
Dans le climat actuel, cette chaleur prolongée et extrême reste encore peu probable. Mais sans une réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre, elles risquent de devenir fréquentes d'ici la fin du siècle. "
D'autres épisodes extrêmes ont-ils ainsi été attribués au réchauffement climatique ?
Yoann Robin : " Dans des études précédentes, la World Weather Attribution avait établi un lien entre le changement climatique et des événements extrêmes, notamment les incendies de forêt en Australie en 2019 et 2020, les canicules en Europe de 2018 et 2019, et la tempête tropicale Imelda, qui a frappé le Texas en 2019.
Toutes ces études ont établi que la survenue de tels événements n'était probablement pas encore possible au siècle dernier. "