De nouveaux modèles de système Terre pour dessiner les futurs climatiques
05/11/2021Dessiner nos futurs climatiques nécessite de représenter le plus finement possible le système Terre. Une équipe internationale de chercheurs, coordonnée par Météo-France, développe en ce moment une nouvelle version des modèles de climat permettant de mieux représenter ce système et ses interactions, dans le cadre du projet ESM2025.
Météo-France coordonne le projet européen ESM2025, au travers du CNRM (Centre national de recherches météorologiques, unité mixte de recherche Météo-France – CNRS, Toulouse). Ce projet vise à développer une nouvelle version des modèles de climat et du système Terre CNRM-CM et CNRM-ESM en y intégrant notamment une meilleure représentation des surfaces continentales (permafrost, feux de forêt et végétation) et de l’océan (effet des tourbillons et de la convection profonde). Le CNRM vise également l’intégration de la chimie atmosphérique en ligne dans le but de simuler la chaîne de processus allant non seulement des émissions aux aérosols et aux interactions aérosols-rayonnement et aérosols-nuages mais aussi la représentation du cycle du méthane.
Pour aller plus loin, Roland Séférian, coordinateur scientifique d'ESM2025, nous en dit plus sur la modélisation et sur le projet !
C’est quoi, le système Terre ?
C’est la description de notre planète et des lois physiques qui guident son fonctionnement. Le système Terre décrit les interactions entre les enveloppes fluides du système planétaire que sont l’atmosphère, l’océan, la cryosphère, les surfaces continentales et la biosphère. Ces différents compartiments de notre système Terre interagissent et évoluent constamment. Les sociétés humaines modifient également le fonctionnement du « système Terre », en utilisant l’eau, en développant des surfaces agricoles, ou en émettant des gaz à effets de serre issue de la consommation de carburant fossile extrait du sous-sol de la Terre. Par leurs décisions, les sociétés humaines peuvent accélérer ou infléchir l’évolution de ces paramètres. Le climat résulte de toutes ces interactions et des énergies produites. Pour comprendre et prévoir ces évolutions, il est donc nécessaire de représenter, le plus finement possible, ce système physique et chimique, les éléments qui le composent et l’ensemble de ces interactions. La représentation d’un système à l’aide d’un jeu d’équation s’appelle un modèle.
Pourquoi le modéliser ?
Les progrès technologiques et notre capacité à traiter massivement, par l’informatique, de plus en plus de données, permet d’améliorer constamment la compréhension de ces processus complexes. Les modèles de climat nous permettent d’analyser et de prévoir, à partir de différentes hypothèses représentant les choix faits aujourd’hui, les futurs possibles.
Nous savons en effet que les interactions entre toutes les composantes du système Terre ne sont pas linéaires, elles se répondent et s’entraînent parfois : par exemple, les surfaces continentales interagissent avec l’atmosphère de manière complexe. Sur le pourtour méditerranéen, le réchauffement climatique entraîne une diminution des précipitations qui conduit à un asséchement des sols. Ces sols plus secs rendent plus difficile l’évapotranspiration des végétaux, ce qui amplifie le réchauffement climatique localement. À cela se conjuguent les conséquences physiques des pratiques humaines, tel que l’usage de l’eau par l’irrigation ou les changements d’usage des sols pour l’agriculture.
Les choix fait aujourd’hui dans les sociétés humaines et l’évolution de leurs activités sont des éléments à prendre pleinement en compte pour simuler les futurs du climat. Progresser dans la modélisation du climat permet donc d'accroître la compréhension du public sur le changement climatique et de renforcer l’engagement en faveur de transformations sociétales nécessaires.
Vous êtes à la tête d’un important projet de recherche international visant à proposer une nouvelle approche de modélisation de ce système Terre. Quel est votre pari ?
Notre pari est de développer une nouvelle génération de modèles permettant d’élaborer des stratégies d'atténuation et d'adaptation plus ambitieuses et réalistes, conformes avec les engagements de l'Accord de Paris visant à limiter à 1,5 °C le réchauffement climatique planétaire.
Nous avons ainsi pour objectif de représenter plus finement la complexité du système Terre. L’idée est de permettre aux modèles de représenter la chaîne des processus entre les émissions liées aux activités humaines et les lois physiques et chimiques qui gouvernent le climat.
Nous allons notamment représenter les cycles du méthane (CH4) et de l’oxyde nitreux (N2O), deux gaz à effets de serre qui sont très dépendants des activités humaines. Ces gaz sont 26 à 300 fois plus réchauffant que le CO2, le seul gaz dont l’évolution est actuellement considérée de manière prognostique dans nos calculs. Intégrer ces deux gaz dans les modèles et représenter le devenir de ces émissions humaines est vraiment important. Réduire les émissions de CO2 est très difficile dans les sociétés actuelles. Mais réduire celles de méthane ou d’oxyde nitreux semble plus accessible à court terme car elles ont un lien avec nos modes de vie et d’alimentation. Et comme le souligne de dernier rapport du Giec (AR6), les bénéfices de ces réductions pourront aller de pair avec une meilleure qualité de l’air. En termes d’atténuation, accroitre la capacité des modèles à représenter les émissions de méthane ou d’oxyde nitreux permettra également de définir des budgets multigaz pour donner aux décideurs des leviers d’action plus fins.
Cette nouvelle génération de modèles s’interrogera également sur le rôle de l’utilisation des surfaces continentales dans l’évolution du climat et en tant que solution au changement climatique. Quel serait l’impact sur le climat d’une alimentation moins carnée ? De l’évolution de la forêt ?
Le projet vise enfin à mettre en cohérence les modèles macro-économiques (qui font les scénarios) et les modèles climatiques (qui font les projections). Nous allons ainsi injecter des connaissances sur les mécanismes physiques et chimiques dans les trajectoires macro-économiques afin de le rendre les projections futures plus réalistes.
De nouveaux paramètres… pour de nouveaux levers d’actions ? Comment cette nouvelle approche va-t-elle servir ?
Nous espérons qu’ensemble les nouveaux modèles, les nouvelles projections et les nouvelles connaissances viendront soutenir les services climatiques européens et les évaluations du Giec, et donc contribuer à l’élaboration de l'action publique dans la mise en œuvre de l'Accord de Paris. En effet, à partir de ce socle de connaissances et d’outils, ESM2025 compte servir d’incubateur pour les actions en faveur du climat et de l’Accord de Paris.
C’est donc pour cela que nous souhaitons intégrer et impliquer, dès le début du projet, des parties prenantes clés que nous avons identifié en amont. L’idée est de codévelopper avec ces mêmes parties prenantes des connaissances qui seront pertinentes et utiles pour le développement de politiques solides en faveur du climat et d’une société future décarbonée et résiliente aux changements environnementaux. En bref, nous voulons, avec ce projet, favoriser l’assimilation et l’appropriation de ces connaissances clés sur le climat par les parties prenantes tout en fournissant des informations essentielles à l'appui des rapports internationaux d'évaluation du climat, des politiques d'atténuation et d’adaptation au changement climatique, etc.
Dans le même but, ESM2025 vise aussi à développer des activités et du matériel éducatif et pédagogique sur le climat pour s’adresser plus spécifiquement aux jeunes citoyens européens qui seront les acteurs de demain.
ESM2025 est un projet de recherche européen sur la modélisation numérique du système Terre, coordonné par le Centre national de recherches météorologiques, CNRM (Météo-France - CNRS). Le projet a démarré le 1er juin 2021. Il est financé par le programme H2020 de la Commission européenne pour une durée de 4 ans.
Fort d’une équipe internationale de 19 organismes européens (représentant 7 pays européens : Autriche, Belgique, France, Allemagne, Norvège, Suède, Suisse et Royaume-Uni) et d'une université australienne, le projet vise à développer la prochaine génération de modèles du système terrestre (ESM).
Cette nouvelle génération de modèles vise à fournir de meilleures projections climatiques permettant de contribuer à élaborer des stratégies d'atténuation et d'adaptation ambitieuses et réalistes, conformes avec les engagements de l'Accord de Paris.
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