Entretiens La neige et la cryosphère sont au cœur du système climatique global.

Météo-France

Marie Dumont : « Vers une nouvelle vision de la neige sur le globe »

14/10/2020

Marie Dumont, chercheuse au CNRM CNRS/Météo-France, est lauréate du programme de recherche européen pour étudier l’évolution de la neige en haute montagne et dans les régions polaires. Le projet IVORI vise à développer un nouveau modèle capable de simuler l’évolution de la neige partout sur le globe.

Vous êtes chercheuse, spécialiste de l’étude de la neige. Pourquoi s’intéresser à la neige et la cryosphère pour étudier le climat ?

La neige est une composante essentielle du système climatique de la Terre. Elle joue un rôle majeur de régulation climatique, de ressource en eau et d’élément clé du paysage, pour les sociétés humaines et les milieux naturels. À haute altitude et dans les régions polaires, le manteau neigeux se transforme en névé et glace, fournissant des enregistrements uniques du climat passé. Le manteau neigeux joue un rôle important pour de nombreux risques naturels (avalanches, crues nivales...). Pourtant, aujourd'hui, les connaissances scientifiques et les modèles numériques utilisés pour analyser et prévoir l’évolution du manteau neigeux à toutes les échelles de temps et d’espace souffrent d’importantes limitations. Ces limitations pèsent sur la finesse de prise en compte du rôle du manteau neigeux dans les modèles de climat.

Marie Dumont est lauréate du programme ERC

Le Conseil européen de la recherche (CER ; en anglais : European Research Council, ERC) a comme principale activité de soutenir les carrières de chercheurs indépendants, dans tous les domaines scientifiques. Chaque année, il sélectionne et finance les meilleurs chercheurs créatifs de toute nationalité et de tout âge pour mener des projets basés en Europe. Cette année, Marie Dumont a été lauréate du programme ERC Starting Grants avec le projet IVORI. C’est la première bourse de ce type que reçoit le CNRM. Elle est donnée pour une durée de 5 ans, dans lesquels nous avons prévu 3 grandes campagnes de mesures, en Arctique, en Antarctique et en France, avec un budget total de 1,8 M d’euros. Ce projet est mené par le CNRM CNRS/Météo-France.

Le projet IVORI pourrait donc constituer une rupture scientifique dans la représentation de la neige… Expliquez-nous

C’est un projet sur les transformations physiques du manteau neigeux. L’idée est de construire un modèle qui soit plus universel possible en termes d’échelle de temps et de conditions climatiques, tout en essayant de résoudre les limitations principales des modèles actuels. Certains processus physiques ne sont pas bien représentés par les modèles actuels. La microstructure de la neige notamment est prise en compte de manière très simplifiée dans les modèles actuels, alors que c’est une variable déterminante dans l’évolution du manteau neigeux.

Jusqu’à présent la modélisation de la neige est en effet basée sur des modèles développés pour des manteaux neigeux alpins. Le problème c’est que la neige évolue d’une manière différente en Arctique et en Antarctique. Les modèles manquent à ce jour d’universalité en termes de conditions climatiques mais aussi en termes d’échelle de temps. C’est en cela que ce projet pourrait être une rupture

dans l’étude de la neige.

L'objectif d'IVORI est de dépasser les limites actuelles des connaissances au sujet des transformations physiques du manteau neigeux et de construire un modèle capable de simuler l’évolution de la neige sous une vaste plage de conditions climatiques. Ce modèle sera basé sur un algorithme innovant pour le calcul de l’évolution physique de la neige et sur une représentation adéquate de la microstructure de la neige, c’est-à-dire l’arrangement tridimensionnel de la glace, de l’eau et de l’air.

Comment vont se passer les campagnes de mesures ?

Le projet s’appuiera, entre autres, sur des observations réalisées à l’aide d’un tomographe à rayons X, qui permet de faire de l’imagerie 3D de la microstructure de la neige. Cet outil, acquis dans le cadre du projet, va nous permettre de réaliser des mesures sur le terrain en Arctique, en Antarctique et dans les Alpes. La neige est fragile, il s’agit donc de préserver au maximum sa structure avant de l’observer. L’idée, c’est de rester en continu pendant la saison d’hiver et de faire des mesures tous les jours de l’évolution de la microstructure.

Qu’est-ce que cela pourrait changer pour les régions polaires ?

Le nouveau modèle vise à mieux représenter la neige dans le passé, le présent et le futur, ainsi que de l’évolution de la température du sol, pour les régions polaires. On aimerait également comprendre mieux comment les signaux de neige de surface se transfèrent en profondeur dans le manteau neigeux.

L’Arctique est un « hotspot » du changement climatique : mieux comprendre les évolutions de la neige et du permafrost dans les régions polaires nous permettra aussi d’affiner encore l’impact du changement climatique sur l’ensemble du globe...