Roland Séférian : " Le budget carbone représente notre marge de manoeuvre "
10/12/2020 Depuis la publication du cinquième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) en 2014, le concept d'un budget carbone est devenu un outil scientifique populaire permettant de guider les politiques climatiques.
Roland Séférian, chercheur à Météo-France, a participé à une étude publiée dans la revue Nature Geoscience qui propose un cadre méthodologique pour comprendre dans quelle mesure les facteurs climatiques ou sociétaux peuvent jouer sur le budget carbone restant pour limiter le réchauffement climatique à 1 ,5 °C ou 2 °C.
Qu'est-ce que le budget carbone restant ?
En deux mots, le budget carbone restant est notre marge de manœuvre pour mettre en place des mesures ambitieuses de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. On parle souvent de budget carbone compatible pour un seuil de réchauffement donné (comme 1,5 °C ou 2 °C) car il existe une relation entre le réchauffement planétaire et le cumul des émissions de CO2 depuis l'ère industrielle. Le budget carbone restant rend compte de ce que l'humanité et ses activités ont émis dans l'atmosphère sous forme de CO2 depuis l'ère industrielle en retranchant du budget carbone les émissions de CO2 passées.
Comment ce concept est-il utilisé aujourd'hui ?
Ce concept représente un des rares outils (quasi opérationnel) permettant de traduire les connaissances sur le climat, le changement climatique et le cycle du carbone en mesure d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Il est utilisé à la fois par les décideurs comme outil de négociations, mais aussi par les ONG comme outil de communication.
Quelles en sont les limites ?
Les limites de ce concept sont les mêmes que celles associées aux projections climatiques : la vitesse à laquelle le système climatique peut se réchauffer, le devenir des puits naturels de carbone, restent des sources d'incertitude. Par ailleurs, s'appuyer uniquement sur la relation linéaire entre le réchauffement et les émissions cumulées de CO2 ne prend pas en compte d'autres gaz à effet de serre comme le méthane, les gaz fluorés, l'oxyde nitreux et les aérosols qui affectent également les températures mondiales.
Qu'apporte cette nouvelle étude ?
Cette étude met en lumière toutes sources d’incertitudes intervenant sur le calcul du budget carbone restant pour un seuil de réchauffement donné. Elle donne également des éléments sur lesquels la communauté scientifique à des marges de progrès. Ces mesures ont été discutées et évaluées par un large panel d’experts (coauteurs de l’étude) dont les compétences ont permis de mettre toutes les pièces du puzzle ensemble.
Parmi les pistes d’amélioration les plus évidentes, l’utilisation d’une méthodologie transparente, traçable et reproductible dans le temps est nécessaire.
Ensuite, on trouve des incertitudes scientifiques liées à notre compréhension du climat et du cycle du carbone et des incertitudes socioéconomiques qui traduisent comment des arbitrages économiques sur telle ou telle technologie vont conduire à émettre d’autres gaz à effet de serre (comme le méthane, le protoxyde d’azote) ou aérosols (comme les particules de carbone suie), et donc changer le rythme du réchauffement planétaire futur.
Enfin, des incertitudes politiques qui traduisent aujourd’hui la difficulté de répartir ce budget carbone restant en allocations nationales. En effet, aujourd’hui, les allocations nationales sont encore le fait de choix unilatéraux et sont encore très loin d’être compatibles avec le budget carbone restant mondial tel qu’évalué dans le rapport spécial du Giec sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C. Renforcer la coopération internationale à ce niveau aiderait donc à parvenir à un ensemble cohérent d'allocations nationales équitables et compatibles avec le budget carbone restant mondial.
Quelles sont les perspectives d'action des États pour respecter l'Accord de Paris ?
Le concept de budget carbone restant a déjà démontré son efficacité potentielle, mais pour être conforme aux objectifs de l’Accord de Paris, il est nécessaire de réduire les incertitudes. En effet, les dernières estimations du budget carbone restant suggèrent que, si le budget carbone restant mondial est certes faible et en diminution rapide (985 GtCO2 au 1er janvier 2020 pour limiter le réchauffement planétaire en dessous de 2 °C), il existe encore une chance d’atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Mais cette chance s’amenuise chaque année avec des mesures d’atténuation nationales retardées et souvent insuffisantes. Il est donc essentiel que les acteurs internationaux et nationaux redoublent d'efforts pour relever le défi de l'atténuation du changement climatique, et l’outil de budget carbone restant peut indéniablement leur servir de guide.