Climat Illustration montagne

Météo-France

Samuel Morin, l’expérience du GIEC 2/3

02/10/2019

Samuel Morin est le responsable du Centre d'Études de la Neige du CNRM (Centre national de recherche météorologique - Météo-France / CNRS). Il a participé en qualité d'auteur au chapitre 2, dédié à la haute montagne, du rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère. Il a également pris part à la rédaction du résumé pour décideurs de ce rapport spécial.
Il détaille dans cette série le contenu du rapport spécial, les enseignements que Météo-France peut en tirer et évoque enfin son expérience personnelle de rédacteur pour le GIEC.

Deuxième partie : Les enseignements pour Météo-France

Première partie : le rapport spécial sur les océans et la cryosphère
Troisième partie : l'aventure personnelle

Pourquoi est-il légitime qu'un chercheur comme vous, travaillant à Météo-France, participe à la rédaction d'un rapport du GIEC ?

A Météo-France, nous faisons de la recherche afin d'acquérir des connaissances sur  l'atmosphère mais aussi sur l'océan et la cryosphère (notamment le manteau neigeux). C'est notre vocation que de traiter ces sujets. Nous disposons d'outils et de connaissances qui nous permettent d'être légitimes. Dans mon cas, le manteau neigeux est la composante de la cryosphère la plus répandue sur Terre. On le retrouve des sommets jusqu'en plaine et jusqu'aux régions polaires. La surveillance du manteau neigeux est un élément central de l'étude de la cryosphère.

En outre, nous nous préoccupons, par exemple, de l'évolution de la neige mais aussi de certains impacts sur les risques naturels comme les avalanches, ou sur les aspects socio-économiques et particulièrement touristiques. En réalité, Météo-France se situe déjà à l'interface des aspects physiques du changement climatique et des impacts socio-économiques et en support de l'adaptation. Alors, il va de soi que pour prendre part à un rapport spécial alliant Groupe 1-Groupe 2* sur ces sujets-là, la candidature de quelqu'un travaillant au CNRM, et en particulier au Centre d'Études de la Neige, était relativement logique.

Le Groupe 1 du GIEC travaille sur les aspects physiques du changement climatique et le Groupe 2 étudie les impacts, les vulnérabilités, l'adaptation. Enfin, le Groupe 3 s'occupe des émissions de gaz à effet de serre.

Quels enseignements Météo-France peut retirer de ce rapport ?

Le rapport fait le point sur l'état des connaissances. Il y en assez pour agir, pour avoir conscience des enjeux. Cela étant, concernant certains environnements, le niveau de connaissance est encore insuffisant, et les zones de montagnes font partie de ces régions. Le niveau d'observation n'est pas toujours suffisant, en particulier à très haute altitude. Le rapport confirme tout l'intérêt que nous avons à consacrer des ressources à documenter l'évolution des conditions météorologiques, qui au bout de quelques décennies, permet d'apprécier l'évolution du climat, y compris en montagne.

Nos réseaux d'observation opérationnels sont donc très importants et il faut souligner leur importance et l'importance aussi de la rigueur des personnels de Météo-France pour s'en occuper, pour vérifier les données, les matériels, les implantations, l'application que les agents mettent à traiter les données aussi, et enfin la collecte auprès de tiers de certaines informations.

« Il ne suffit pas d'avoir les plus beaux modèles du monde, les meilleurs satellites du monde, la continuité des observations est fondamentale »

L'observation est donc essentielle pour caractériser le changement climatique ?

Oui, car avant toute chose, quand on parle de changement climatique, les décideurs, les journalistes et les personnes intéressées, veulent savoir si aujourd'hui nous sommes en mesure de donner un exemple de quelque chose qui a déjà changé à cause de l'évolution du climat. Si on ne fait pas de mesures, on ne peut pas répondre à cette question. Il ne suffit pas d'avoir les plus beaux modèles du monde, les meilleurs satellites du monde, la continuité des observations in situ est fondamentale, ainsi que la combinaison de ces approches (observer, in-situ et de l'espace, modéliser, simuler).

Et puis enfin, à Météo-France, nous avons un savoir-faire que l'on peut transmettre à d'autres acteurs. Cette expertise en matière d'observation, météo et neige, est très précieuse.

D'autres enseignements peuvent-ils être tirés à la suite de ce rapport pour l'établissement ?

Bien sûr. Le deuxième enseignement est de nous encourager à continuer à acquérir des connaissances. Il y a vraiment des points, soulignés dans le rapport, où nous manquons encore de renseignements. Il n'est pas seulement question de recherche et de tendances climatiques, mais aussi de systèmes opérationnels de prévision. L'alerte précoce est par exemple identifiée comme une composante centrale de l'adaptation au changement climatique, y compris en montagne. Il est opportun de mieux anticiper un péril dans un contexte de climat en évolution, par une meilleure prévention. Il s'agit donc de mieux relier la prévision et la climatologie (passée et future) pour des services intégrés.

En matière d'alerte, l'imbrication des échelles face aux enjeux est également un élément important : sur les questions liées au littoral par exemple, certes il y a une variation climatique qui fait monter le niveau de la mer, mais il suffit d'une tempête, d'un cyclone, associés à une surcote, et le littoral, notamment urbanisé, est dévasté. Cette articulation des échelles me semble déterminante pour Météo-France.
Le rapport au changement climatique devient très concret dans ce cas ?

Tout à fait. Et d'ailleurs, c'est pour cela qu'il est important de conserver et renforcer un lien étroit entre Météo-France, les collectivités et les partenaires locaux. Car pour fournir des informations pertinentes aux décideurs, il convient d'être en capacité de bien évaluer les vulnérabilités des territoires et leurs impacts. 

« Comment transmettre ces connaissances au grand public ? C'est aussi notre responsabilité »

Cela signifie-t-il également que l'établissement doit renforcer ses actions de communication ?

Le plus important peut-être, et cela touche à la société au sens plus large, est de définir comment transmettre ces connaissances au grand public ? C'est aussi notre responsabilité. Il faut s'adresser au plus grand nombre d'abord, mais aussi aux décideurs, aux institutions, aux enseignants et leurs élèves… A la société civile en somme.

Il faut savoir comment évoquer le changement climatique localement, nationalement et répondre à ceux qui se posent des questions. C'est essentiel pour que chacun puisse s'approprier l'enjeu et agir en conscience. Jusqu'à présent, malgré le succès académique du GIEC depuis 30 ans, la connaissance n'a pas suffi à déclencher une action décisive. On peut sans doute faire mieux. Par exemple, le rapport identifie l'intérêt de développer des connaissances sur le climat à l'échelle régionale, pour engager les réflexions et les transitions. Au-delà de la question fondamentale de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour l'adaptation la question est vraiment de savoir comment s'emparer de ces enjeux pour être des relais efficaces auprès de nos interlocuteurs nationaux et dans les territoires.