Entretiens Plus de 40 °C depuis deux jours à Seattle

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Records sur l'Ouest américain : le point sur une vague de chaleur extrême

30/06/2021

Depuis le week-end dernier, des températures très élevées concernent l'ouest canadien et le nord-ouest des États-Unis. Olivier Proust, prévisionniste à Météo-France, répond à nos questions sur ce phénomène exceptionnel.

Quelle est la situation en Amérique du Nord ?

Les températures ont commencé à atteindre des niveaux extrêmes vendredi dernier entre le nord-ouest des États-Unis et l’ouest du Canada. Elles ont continué de grimper tout ce week-end pour atteindre un pic le lundi 28 juin. Déjà dimanche, les températures observées en Colombie-Britannique ont atteint des niveaux inédits, qui ont été dépassés par endroits ce lundi. La région subit une vague de chaleur sans précédent qui se poursuit encore ce mardi. Les températures extrêmes vont ensuite se propager vers l’est et se diluer dans les grandes plaines en fin de semaine. Dès la nuit de mardi à mercredi, les températures devraient revenir à des niveaux plus raisonnables mais toujours très chauds par la façade pacifique, cependant, dans l’intérieur, cette vague de chaleur extrêmement intense va se poursuivre pendant quelques jours. De nouveaux records annuels de chaleur seront encore très probablement battus un peu plus à l’est cette semaine.

Jamais une telle chaleur n'avait été mesurée dans ces régions. Quelles sont les valeurs les plus remarquables ?

Cette vague de chaleur produit des valeurs absolument inédites. Les records de juin mais aussi tous mois confondus sont largement battus. On retiendra bien sûr les valeurs les plus chaudes relevées par les services météo canadiens à Lytton où le thermomètre a atteint 46,6 °C dimanche, puis 47,9 °C lundi et 49,6 °C mardi, écrasant trois jours de suite le record national du Canada (45 °C en 1937), et faisant de cette température la plus élevée jamais relevée au-dessus du 50° Nord. Mais toute la côte pacifique entre le nord de la Californie (USA) et la Colombie-Britannique (Canada) a connu des valeurs extravagantes : des records annuels battus déjà dimanche ont été parfois à nouveau battus lundi et encore mardi. Voici une liste non exhaustive des records canadiens :

Station

Province

Valeur observée mardi

Valeur observée lundi

Valeur observée dimanche

Précédent record

Date du précédent record

Fort St John

Colombie- Britannique

38,1 °C

36,3 °C

35,1 °C

33,6 °C

09/08/1981

Prince George

Colombie- Britannique

37,5 °C

38,4 °C

36,4 °C

36,0 °C

29/05/1983

Kamloops

Colombie- Britannique

47,3 °

45,8 °C

44,0 °C

40,6 °C

31/07/1971

Abbotsford

Colombie- Britannique

32,0 °C

42,9 °C

41,5 °C

38,0 °C

29/07/2009

Victoria

Colombie- Britannique

33,5 °C

39,4 °C

37,7 °C

36,3 °C

11/07/2007

Grande Prairie

Alberta

41,5 °C

38,4 °C

36,1 °C

35,6 °C

22/07/2006

Jasper

Alberta

40,3 °C

39,0 °C

37,3 °C

36,1 °C

01/08/1974

Mercredi 30 juin, alors que l'air chaud se décale lentement vers le centre du pays, de nouveaux records de température maximale sont encore tombés :

  • Jasper (Alberta): 41,2 °C (ancien record 36,1 °C le 01/08/1974) ;
  • Fort McMurray (Alberta): 40,3 °C (ancien record 38,9 °C le 18 juillet 1941) ;
  • Fort Smith (Territoires du Nord-Ouest): 39,9 °C (ancien record 39,4 °C le 18 juillet 1941) ;
  • Uranium City (Saskatchewan): 38,0 °C (ancien record 34,7 °C le 27 juillet 1984) ;
  • Stony Rapids (Saskatchewan): 39,8 °C (ancien record 36,7 °C le 27 juin 2002) ;
  • Key Lake (Saskatchewan): 36,9 °C (ancien record 36,0 °C le 10 août 1991).

Et une liste de records états-uniens :

Station

État

Valeur observée lundi

Valeur observée dimanche

Précédent record

Date du précédent record

Seattle

Washington

42,2 °C

40,0 °C

39,0 °C

29/07/2009

Portland (aéroport)

Oregon

46,7 °C

44,4 °C

41,7 °C

10/08/1981

Salem

Oregon

47,2 °C

45,0 °C

42,2 °C

09/08/1981

Au-delà de ces valeurs absolues, on peut retenir quelques faits remarquables qui donnent la mesure  du phénomène (précocité, durée, intensité) :

  • Seattle va connaître 3 jours consécutifs à plus de 38 °C (la barre symbolique des 100 °F), soit une série inédite;
  • les records ponctuels ont été battus parfois de 4 à plus de 6 °C ! Un nouveau record pour pas mal de stations ;
  • les valeurs observées se situent parfois à plus de 22 degrés au-dessus des normales ! Le climat de cette région est certes très particulier – très tempéré sous l’influence océanique mais ponctué de poussées de fièvre possibles accentuées par la topographie – et la variabilité des températures est bien différente selon les types de climat à travers le monde, mais pour saisir l’extraordinaire intensité de ce qu’expérimente la région, imaginons un tel écart ailleurs : on atteindrait alors fin juin de possibles 44 °C à Paris, 47 °C à Strasbourg ou 49 °C à Nîmes ! Ou 52 °C à Madrid, Pékin ou Tokyo, voire 56 °C à Téhéran !

C'est exceptionnel... A-t-on déjà connu des épisodes comparables ?

Cette situation est totalement inédite. Si on se borne à comparer les valeurs observées ces jours-ci avec la climatologie historique de la région, c’est-à-dire avec la distribution des températures relevées depuis la fin du XIXe siècle, on sort complètement des limites. Sans influence humaine, la durée de retour pour un tel épisode serait de l’ordre de milliers d’années ! De tels niveaux de température deviennent de plus en plus probables avec le changement climatique, qui décale toute la distribution des températures vers des valeurs plus chaudes. On peut cependant penser que ce niveau de chaleur reste rare même dans le climat actuel – les études d'attribution qui seront menées dans les jours à venir préciseront à quel point. Dans le futur, chaque fraction de degré de réchauffement supplémentaire continuera à accroitre la fréquence et l'intensité de ce type d'épisode caniculaire.

Comment expliquer cette situation ?

Et pourtant, ces températures sont le produit d’une circulation météorologique certes extrême mais connue dans le climat des latitudes tempérées : il s’agit d’une situation de blocage atmosphérique intense – une situation de type oméga avec un anticyclone à toutes altitudes, puissant et statique, campant très nord sur l’ouest du continent nord-américain, et son contournement par le nord du flux perturbé. De l’air chaud en provenance du Pacifique se retrouve happé vers les hautes latitudes puis piégé sous un dôme de hautes pressions. Il en résulte un mouvement anticyclonique et un mouvement de la moyenne atmosphère vers les basses couches, produisant un réchauffement supplémentaire de l’air par compression. Ce dimanche et jusqu’à ce mardi, l’anticyclone était centré sur la Colombie-Britannique conduisant donc un vent de terre entre l’Oregon et la région de Vancouver. En redescendant le relief des Rocheuses et de ses massifs secondaires vers les plaines littorales, cet air se réchauffe encore plus, produisant donc des températures dignes des points chauds du globe en une région pourtant très septentrionale et bien sûr inexpérimentée face à de telles chaleurs.

Est-ce lié au changement climatique ? Doit-on s'attendre à voir se multiplier de tels épisodes à l'avenir ?

Le changement climatique ne cause vraisemblablement pas de changements dans les types de circulation atmosphérique possibles pour une région donnée : cette situation en oméga provoquant ce dôme de chaleur est par exemple une situation certes extrême de nos moyennes latitudes, mais connue, expliquée et documentée depuis plusieurs décennies. En revanche, avec le réchauffement climatique, ce dôme de chaleur produit des températures plus élevées. Les canicules deviennent ainsi plus intenses, plus fréquentes et possibles plus tôt et plus tard dans l’année. À l’image de la canicule historique de fin juin 2019 en France, où une situation en oméga de ce type a produit des températures absolument inédites, dépassant également de très loin nos précédents records, ce nouvel événement climatique augure de ce à quoi on peut s’attendre de plus en plus dans le climat futur.