1816 : L’année sans été et l’éruption du Tambora
06/03/2020L’année 1816 est marquée par de très mauvaises conditions climatiques, avec de multiples conséquences en France et dans le monde. En cause, l'éruption, en avril 1815, d'un volcan indonésien, le Tambora. Explications.
Pluies et nuages sur l’Hexagone
Les tableaux météorologiques de l'Observatoire de Paris, publiés dans les Annales de chimie et de physique, attestent de cet été particulièrement maussade :
- en juin : 25 jours de ciel couvert ou très nuageux et 5 jours de beau temps,
- en juillet : 10 jours de pluie, 18 jours de ciel couvert ou très nuageux et 3 jours de beau temps,
- en août : 6 jours de pluie, 20 jours ciel couvert ou très nuageux et 5 jours de beau temps.
Le mauvais temps ne sévit pas que dans la capitale, comme en témoignent d'autres données météorologiques issues des archives de Météo-France.
Un phénomène d’ampleur mondiale
Dans l'Hexagone, le prix du blé explose pour atteindre 36,17 francs l'hectolitre en 1817 contre 19,53 en 1815. En Bourgogne, les vendanges démarrent le 26 octobre, la date la plus tardive constatée sur la période 1437-2003.
La France métropolitaine n'est pas la seule concernée.
En Asie, la récolte de riz est quasi inexistante, ce qui entraînera la mort de milliers de personnes, notamment dans la province chinoise du Yunnan. En Amérique du Nord, les conséquences sur les récoltes sont désastreuses. Les prix du blé et du maïs sont presque multipliés par deux. On enregistre des chutes de neige à Boston en plein mois de juin.
En Suisse, la météo est également mauvaise. Mary Shelley et Lord Byron, qui séjournent près de Genève, en feront d'ailleurs l'expérience. Reclus dans leur villa au bord du lac Léman, ils créeront deux chefs d'œuvre de la littérature : « Frankenstein » et le poème « Ténèbres »
Le volcanisme en cause
À l'origine de cette météo dégradée, l'éruption du volcan Tambora, qui débute en Indonésie le 5 avril 1815, avec deux épisodes majeurs les 10 et 11. C'est une des plus violentes du millénaire, tant par l'altitude atteinte par les cendres que par l'onde de choc associée. Elle cause la mort de plus de 70 000 personnes dans les environs immédiats du volcan et provoque un tsunami sur les côtes de la mer de Java. L'éruption est connue en Occident. En Angleterre, Turner immortalisera d'ailleurs les ciels rouges de l'automne 1815, en lien avec la forte concentration en cendres volcaniques dans le ciel de Grande-Bretagne.
Dans un article du Mercure de France de 1818, le philosophe et orientaliste français Constantin-François Volney pose la question d'un possible lien avec les mauvaises conditions climatiques observées en 1816 dans l'hémisphère Nord. Mais, il faudra attendre les travaux du météorologue américain William Jackson Humphreys (1862-1949) pour que cette hypothèse soit prise en considération. Ce dernier publie en 1913 un article faisant le lien entre cette éruption et certaines des catastrophes climatiques déclenchées dans les années 1815-1816.
Aujourd'hui encore, l'influence des éruptions volcaniques sur le climat fait l'objet de travaux de recherche, mais le mécanisme à l'œuvre est désormais connu.
Des sulfates qui bloquent les radiations solaires
Les volcans émettent notamment des cendres, du dioxyde de carbone (CO2) et du dioxyde de soufre (SO2) qui se transforme en fines particules de sulfates. Les chercheurs estiment que l'impact du CO2 émis par les volcans sur le climat a été négligeable depuis 1750, les volcans ayant injecté 100 fois moins de CO2 dans l'atmosphère que les activités humaines. En revanche, les particules de sulfate liées aux éruptions ont un effet significatif sur le climat. Certaines éruptions sont si puissantes qu'elles créent dans la basse stratosphère (25 km d'altitude environ) un véritable écran de sulfate, qui accroît l'opacité de la haute atmosphère au rayonnement solaire. Ce phénomène est susceptible de refroidir le climat d'une grande partie de la planète pendant 1 à 3 ans.
Depuis celle du Tambora, plusieurs éruptions majeures ont eu un impact important sur le climat, notamment celles du Krakatoa (Indonésie, 1883), du Santa María (Guatemala, 1902), de l'Agung (Indonésie, 1963), d'El Chichón (Mexique, 1982) et du Pinatubo (Philippines, 1991). On estime que ce dernier a injecté 20 millions de tonnes de SO2 dans la stratosphère10. Le volcan islandais Eyjafjallajökull en a quant à lui émis 400 fois moins. Son explosion a provoqué de très importantes perturbations du trafic aérien européen en avril 2010. Mais l'écran de sulfates produit n'a cette fois pas atteint la stratosphère et n'a donc pas eu d'impact décelable sur le climat. Cantonnées dans les basses couches atmosphériques, les particules émises ont été lessivées en quelques jours par les nuages et les précipitations.
Sans représenter directement les éruptions volcaniques, les modèles climatiques, comme celui de Météo-France, prennent en compte les nuages de sulfates stratosphériques liés aux éruptions les plus fortes et parviennent à représenter le refroidissement global qui accompagne ces événements.