Histoire Gravure de L'Epine et Claude Niquet.

Le 13 juillet 1788 : un orage prérévolutionnaire

06/03/2020

Le 13 juillet 1788, un orage particulièrement violent traverse la France, des Landes jusqu'à la Belgique, laissant 1059 villages dévastés et ruinant une partie des récoltes céréalières d'une moisson qui s'annonçait déjà médiocre. Un an plus tard, la prise de la Bastille marquera le début de la Révolution française.

Emmamunel Leroy-Ladurie : “ Une période météorologique hors norme ”

Retour sur cet événement météorologique et sur ses conséquences humaines, sociales, économiques et politiques avec l'historien du climat Emmanuel Le Roy Ladurie.

Météo-France : En quoi l'orage du 13 juillet 1788 est-il remarquable ?

E. Le Roy Ladurie : Il est tout d'abord particulièrement violent. 11 749 vitres et ardoises du château de Rambouillet, où le roi séjournait, sont pulvérisées sous les grêlons. Devant l'ampleur du désastre, Louis XVI charge une commission composée de trois académiciens, Leroi, Teissier et Buache, de rassembler tous les faits…et d'en dresser une carte, ce qui est probablement une première au niveau météorologique. Le rapport, remis en juin 1789, indique que deux lignes de grains ont abordé l'embouchure de la Gironde à minuit en se dirigeant vers le N/NE avec une vitesse d'environ 55 km/h. La grêle tombe à Poitiers, Chartres (7 h), Rambouillet (8 h), Paris (8 h 30), Douai (11 h), Utrecht (14 h 30). La carte dressée à cette occasion affiche deux zones de grêle entre trois bandes de pluies fortes. Les grêlons atteignent par endroit des dimensions exceptionnelles (plus de 5 quarterons, soit 600 g). Les pertes directes sont estimées à 25 millions de livres qui sont à mettre en perspective avec les 503 millions de recettes du royaume.

La plupart des historiens de la Révolution française mentionnent cet orage, d'une part parce qu'il a été abondamment décrit mais surtout parce que sa date, un an et un jour avant la prise de la Bastille, frappe l'imaginaire collectif.

© Archives nationales

Météo-France : Cet épisode survient-il dans un contexte météorologique particulier ?

E. Le Roy Ladurie : Oui, l'orage se produit dans une période météorologique 1788-1789 hors normes. En juillet 1788, le déficit pluviométrique est de l'ordre de 40 % dans le nord de la France et dépasse les 80 % dans le Sud-Est. Dès juin, les récoltes sont annoncées comme médiocres. Elles le sont effectivement (20 à 30 % de moins que la normale selon les régions). Il faut remonter à 1774 pour retrouver un tel déficit, qui avait alors été à l'origine de la « guerre des farines », une révolte consécutive à la hausse du prix du pain survenue au printemps 1775.

Dès août 1788, des émeutes éclatent à Lamballe en Bretagne, et en automne, en Provence et en Languedoc où la sécheresse a été la plus marquée. Les indices de pénurie sont présents dès octobre 1788 à Anvers.

Mais le plus difficile reste à venir. Le temps glacial qui s'installe sur le pays dès le 25 novembre 1788 se prolongera jusqu'à la mi-janvier 1789. À Paris, le nombre de jours de gelée en hiver (décembre-janvier-février) atteint le record historique de 86 jours. Dans son Mémoire sur l'Hiver rigoureux de 1788-1789, le père Louis Cotte, précise que le minimum de froid a été enregistré en France le 31 décembre 1788 (-17°4 à Paris, -17°5 à Lyon, -18°2 à Châlons sur Saône, -21° à Strasbourg, en degrés Réaumur, soit l'équivalent pour Paris de -21,75 °C et -26,25 °C pour Strasbourg ) mais que le froid le plus insupportable a été celui du 6 janvier 1789, marqué par un vent de NE très piquant. La Seine, la Loire, le Rhône, la Saône sont en partie gelés, ce qui complique les approvisionnements des grandes villes comme Paris, mais aussi Rouen...

Météo-France : Quelles en sont les conséquences économiques et humaines ?

E. Le Roy Ladurie : La surmortalité de janvier 1789 est estimée à 10 000 morts, bien moins cependant que celle de 1709 et ses 700 000 morts. Le déficit de naissances est plus sensible, environ 30 000. Les raisons sont multiples : noces différées (10 000 mariages de moins en 1788), aménorrhée de disette chez les femmes les plus pauvres...

Le prix du pain s'envole et le nombre d'émeutes avec !

Ainsi Jean Nicolas, dans La rébellion française, identifie 58 émeutes frumentaires en 1788 et 239 sur les seuls quatre premiers mois de 1789, avec un maximum de 105 en avril, avant la tenue des États généraux le 5 mai.

 

Météo-France : Et les conséquences politiques ?

E. Le Roy Ladurie : Un rôle de « gâchette » dans le déclenchement de la Révolution française, même si les origines en sont beaucoup plus profondes.

En France, en 1788, le contexte politique est tendu. Louis XVI s'est résolu à convoquer les États généraux le 5 juillet 1788, sans annoncer cependant de date précise. Il n'identifie pas le risque de pénurie frumentaire et autorise le renouvellement des autorisations d'exportation les 17 et le 25 juin 1788, malgré la sécheresse déjà constatée. Il faut attendre la nomination officielle de Necker, le 25 août 1788, pour que l'export des grains soit interdit et qu'un circuit d'importation depuis les États-Unis soit mis en place, ce qui sans être entièrement nouveau, constitue une réelle opportunité.

L'historien François Furet, spécialiste de la Révolution française, note judicieusement que, pas un instant, Louis XVI ne songe à influencer l'opinion en mettant en valeur les mesures qui ont été prises. Il ne mène aucune campagne pour préparer les élections, ce qui semble inimaginable de nos jours. Pourtant, la question des impôts à payer après les récoltes détruites par l'orage du 13 juillet ou le gel de l'hiver et celle de la cherté du pain reviennent presque systématiquement dans les cahiers de doléance du Tiers État. Les émeutes gagnent toute la France, en ville comme à la campagne. Elles se radicalisent. Dès février 1789, si l'on en croit le journal du libraire Hardy, à Paris, le bouc émissaire n'est plus le spéculateur mais la noblesse et le clergé, qui accaparent les grains. Le petit peuple devient révolutionnaire. L'émeute parisienne des 27 et 28 avril 1789 contre la manufacture Réveillon, dans le Faubourg Saint-Antoine, commence aux cris de « Mort aux riches, Mort aux aristocrates, Liberté, Vive Necker, Vive le Tiers État … ». Elle se termine dans le sang avec entre 30 et 900 tués selon les sources. Elle est considérée par plusieurs historiens comme le soulèvement prélude à la révolution.

Comme le dit François Furet, dans La Révolution 1770-1880, publiée aux éditions Hachette, « Le soulèvement des misérables donne à la conscience révolutionnaire la force du nombre et le sentiment de l'urgence ».

Bibliographie

Duvergé P., 2004 : Une tempête qui fit l'histoire : l'orage du 13 juillet 1788. Arc en ciel, 144, 12-19.

Furet F., 1988 : Histoire de France - La révolution 1770-1780. Hachette, Tome 3,73-74.

Garnier E.et F. Surville, 2010 : Climat et révolutions. Édition Le Croît Vif, 134-141.

Le Roy Ladurie E., 2006 : Histoire humaine et comparée du climat - Disettes et révolutions 1740-1860. Fayard, 145-180.

Leroi, Buache et Tessier, 1789 : Rapport ou second mémoire sur l'orage à grêle du dimanche 13 juillet 1788. Mémoires de l'Académie des sciences, 263-309.

Nicolas J., 2008 : La rébellion française. Folio Histoire, 391-399.

Vasak A., 2004 : L'orage du 13 juillet 1788. L'histoire avant la tourmente. Le Débat, 130, 171-188. DOI : 10.3917/deba.130.0171.