Les Antilles face au réchauffement climatique
19/07/2021Des cyclones plus intenses, des territoires insulaires particulièrement vulnérables face à la montée des eaux… Les Antilles subissent le changement climatique. L’exceptionnelle saison cyclonique 2017 qui a vu les ouragans Irma, José et Maria dévaster la région le rappelle : la survenue d’épisodes considérés jusqu’alors comme extraordinaires est possible et oblige à réfléchir à la façon de reconstruire un système plus résilient avec le spectre d’autres événements à venir.
Prévoir le changement climatique aux Antilles pour mieux s’adapter, c’est l’objectif de l’étude C3AF (Changement climatique et conséquences sur les Antilles françaises), projet de recherche collaboratif auquel Météo-France participe.
Entretien avec Ali Bel Madani, ingénieur climat et services climatiques à la direction Antilles-Guyane de Météo-France.
Irma, José, Maria… Ces cyclones dévastateurs interrogent : les Antilles doivent-elles s’attendre à de telles séries noires à l’avenir ?
Irma, en 2017, a été le premier ouragan de catégorie 5 à atterrir sur les îles des Petites Antilles (dont les îles françaises de Saint-Martin et Saint-Barthélemy). Cet événement a été suivi du passage de Maria, également ouragan de catégorie 5, sur la Dominique, voisine de la Guadeloupe et de la Martinique...
Le projet C3AF débuté en 2016 s’est effectivement attaché à simuler l’évolution future de l’activité cyclonique dans le bassin Atlantique nord/Caraïbes/golfe du Mexique. Pour cela, nos équipes de recherche ont développé des modèles spécifiques, zoomés sur les territoires insulaires.
Le constat ne pointe pas plus de cyclones, mais des cyclones plus intenses. Si une augmentation du nombre de cyclones n’est pas attendue, on s’attend en effet à une augmentation de la proportion des ouragans les plus intenses, avec une hausse marquée des pluies cycloniques.
Avec le changement climatique, on constate une extension de l'aire géographique des cyclones (...) qui pourraient menacer jusqu'aux moyennes latitudes.
Ce qui est marquant également, c’est l’extension de l’aire géographique des cyclones sur le bassin.
Le changement climatique impacterait les trajectoires des cyclones, qui feraient leur apparition de plus en plus au nord du bassin Atlantique et pourraient menacer jusqu’aux moyennes latitudes. On peut d’ailleurs citer l’exemple récent de l’ouragan Ophélia, fin 2017, ou encore de Lorenzo en 2019, qui sont venus impacter jusqu’aux îles Britanniques. Bien qu’il reste difficile d’attribuer l’apparition d’un phénomène particulier au réchauffement climatique, ces événements exceptionnels pourraient préfigurer une tendance de fond qui se dessine.
Dans nos simulations du climat futur, on constate aussi une augmentation très marquée de l’activité cyclonique au large du Cap-Vert, zone importante de génèse des cyclones du bassin.
Outre l’activité cyclonique, le changement climatique impacte le climat des îles des Antilles. Qu’avez-vous constaté ?
Effectivement, comme partout sur le globe, on a mis en évidence une forte hausse des températures. On s’attend à un réchauffement marqué dans toute la région des Caraïbes, de l’ordre de 1,5 °C supplémentaires sur l’océan et 2 °C sur la terre (îles et continent) en moyenne sur l’année entre les décennies récentes et à venir (avec une accélération du réchauffement à partir de 2050-2055), en faisant l’hypothèse d’un scénario d’émission de gaz à effet de serre pessimiste.
On note aussi une tendance nette à l’assèchement avec une diminution marquée des précipitations de l’ordre de 10 à 15 % sur les îles (Guadeloupe et Martinique) à l’horizon 2080. Cela pose des défis à un certain nombre de secteurs de l’économie de ces territoires, comme l’agriculture ou la gestion de la ressource en eau par exemple.
Nous avons aussi étudié les états de mer. Nous avons utilisé les modélisations de vent pour alimenter des modèles de vagues et étudier en particulier la houle cyclonique : on a mis en évidence des modifications à venir dans les extrêmes de houle cyclonique avec une augmentation très marquée de la hauteur des vagues sur certaines parties du bassin atlantique nord, des côtes africaines et nord-américaines.
Les résultats du projet C3AF suggèrent de plus que si des ouragans majeurs comme Hugo (1989) ou Maria (2017) devaient se reproduire à la fin du siècle, la hauteur et donc la force des vagues à la côte seraient plus importantes du fait de l’élévation du niveau de la mer. Avec un scénario d'émission de gaz à effet de serre pessimiste, en Guadeloupe par exemple, les vagues les plus hautes croîtraient de 20-40 % dans le Grand Cul-de-sac marin en cas de hausse du niveau de la mer de 80 cm car la barrière de corail pourrait perdre une partie de son rôle protecteur, à l’horizon 2100. Les effets pourraient être encore accrus en cas de forte élévation du niveau marin associée par exemple à une déstabilisation de l’Antarctique.
Que propose le projet pour aider nos territoires à s’adapter à ces évolutions du climat ?
Des indicateurs ont été construits dans le cadre du projet C3AF. Cinq grandes familles d’indicateurs ont été proposées à de multiples échelles spatiales, depuis l’espace caribéen jusqu’à la parcelle guadeloupéenne. Ce sont des outils d’aide à la décision pour les pouvoirs publics.
Ces indicateurs permettent de cartographier les risques auxquels les territoires sont exposés : effets des phénomènes naturels, exposition aux aléas naturels actuels et projetés (tels que l'érosion,la submersion marine et les inondations), vulnérabilité des territoires, etc.
Il s’agissait de proposer des indicateurs axés sur le changement climatique, tout en garantissant la traçabilité des sources des informations utilisées, la capacité de reproduction de ces indicateurs par les générations futures et la possibilité de les agréger à de multiples échelles spatiales (parcelle, bassin-versant, commune, ville, île).
GuyaClimat : étudier l’évolution du climat en Guyane
L’étude du climat en Guyane répond à des problématiques différentes de celles des territoires insulaires. La Guyane, continentale, est en effet comparativement mieux représentée par les modèles globaux. Météo-France, accompagné du BRGM, conduit un projet spécifique pour analyser l’évolution du climat guyanais et aider les acteurs de terrain à anticiper et à s’adapter au changement climatique. Pour cela, les experts de Météo-France analysent une multitude de modèles globaux utilisés pour les exercices du Giec afin d’adapter leurs projections climatiques au territoire de la Guyane. Des simulations régionalisées seront ainsi réalisées, qui permettront notamment d’appréhender les possibles changements des températures, de la pluviométrie, des vents, des vagues… en termes de normales de saison mais aussi d’événements extrêmes.