"J'ai suivi Martin comme cheffe prévisionniste à Météo-France"
26/12/2019 Il y a 20 ans, les tempêtes Lothar et Martin s'abattaient sur l'Europe causant 140 victimes, dont 92 en France, et de considérables dégâts matériels.
Marie-Claire Baleste, cheffe prévisionniste au CNP Toulouse, qui était en service le jour où Martin a traversé le pays, revient sur cet événement. Entretien.
Vous avez suivi pour Météo-France les tempêtes de 1999. Quel poste occupiez-vous à l'époque ?
J'étais cheffe prévisionniste au Centre national de prévision à Toulouse. Je suis rentrée de vacances en Bretagne le 26 décembre. J'ai pris mon poste le 27 décembre au matin en sachant qu'une autre tempête arrivait. Nous avions déjà émis le matin un bulletin d'alerte destiné à informer la Sécurité civile en cas d'événement exceptionnel.
Une deuxième tempête allait traverser le pays. Tous les signaux sur l'Atlantique étaient là pour indiquer une cyclogenèse. Ce que l'on maîtrisait moins bien, c'était sa trajectoire et sa chronologie précises sur la France.
"J'ai pris mon poste le 27 décembre au matin en sachant qu'une deuxième tempête arrivait."
Comment s'est déroulé le suivi de la situation ?
Les modèles avaient sous-estimé le creusement de la dépression et ne parvenaient pas à prévoir correctement sa trajectoire. J'ai passé ma journée à rectifier la trajectoire de Martin, à partir des observations dont on pouvait disposer et des images satellite. Je prenais des feuilles de papier qui servaient autrefois à tracer des lignes isobariques sur des tables lumineuses pour pointer les positions successives de la tempête et rectifier sa trajectoire. Même au moment où la tempête arrivait au voisinage de la Bretagne, malgré la disponibilité de plusieurs observations au sol, le modèle n'arrivait pas à simuler correctement le tracé de la dépression.
À quel moment avez-vous pu prendre la mesure de la violence du phénomène ?
Ce n'était pas évident, à l'époque nous n'avions pas de retour du terrain. Nous n'avions pas les contacts avec la Sécurité civile comme nous les avons actuellement. Nous étions plus focalisés sur la production du bulletin de prévision que véritablement sur le suivi du phénomène et de ses conséquences sur le terrain.
C'est une culture que l'on a acquise depuis, avec le dispositif de vigilance. Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus axés sur les conséquences terrain des phénomènes météo.
Nous avions quand même conscience que les tempêtes en cours étaient exceptionnelles en regardant les valeurs de vent. Les tempêtes de 1999 détiennent encore les records de vents dans la plupart des régions. À Dinard, par exemple, on vient de battre le record de vent mensuel depuis 1999 au passage d'Atiyah le 9 décembre 2019 avec 117 km/h. Mais on reste très loin des 158 km/h enregistrés par cette station pour Lothar…
Si ces tempêtes exceptionnelles se produisaient aujourd'hui, aurions-nous pu mieux les anticiper ?
Oui. Tout a changé, la météo est en perpétuelle évolution, tant dans la prévision des phénomènes que dans la diffusion de l'information : 1999 et 2019 sont vraiment deux mondes différents. Le dispositif de vigilance a été mis en place depuis pour que l'information soit transmise simultanément aux services de sécurité, aux médias et au grand public. Concernant d'une part les retours du terrain et d'autre part, la transmission des prévisions météorologiques, y compris la vigilance, l'explosion d'Internet et des réseaux sociaux ont également changé la donne.
"1999 et 2019 sont vraiment deux mondes différents."
Concernant la prévision numérique du temps, les modèles se sont considérablement améliorés ! Nous aurions pu prévoir les tempêtes au moins 36 heures plus tôt avec notre savoir-faire actuel. Une valeur observée à Brest nous indiquait 529 km/h de vent à 8 000 m d'altitude, une valeur exceptionnelle qui, à l'époque, avait été jugée aberrante et rejetée par les modèles. Aujourd'hui, elle aurait été retenue.
D'autre part, on intègre beaucoup plus de données satellite. Cela nous permet de mieux suivre la dynamique d'altitude et les phases de creusement des dépressions. À l'époque, nous n'avions pas non plus de champs de rafales de vent prévues. On les estimait à partir des champs de vents moyens et des vents moyens à 500 m d'altitude.