Mathieu Mirabel / L’œil du climat / Météo-France
Scénarios climatiques du GIEC : l’approche de Météo-France pour la France
21/10/2025Pour anticiper l’avenir du climat, il ne suffit pas de connaître les tendances mondiales : il faut comprendre ce qu’elles signifient pour chaque territoire. Les scénarios climatiques du GIEC, qui combinent des hypothèses sur l’évolution des sociétés, sur les émissions de gaz à effet de serre et la réponse du système climatique, établissent les grandes trajectoires possibles du climat de la planète. Ils fournissent ainsi un cadre scientifique de référence que Météo-France utilise pour ses projections pour la France, dans l’Hexagone comme en outre-mer, afin de guider concrètement l’adaptation des territoires.
Le GIEC, la boussole mondiale du climat
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été créé, en 1988, par l’ONU pour évaluer et synthétiser l’ensemble des recherches sur le climat. Il ne produit pas de nouvelles données, mais analyse et met en cohérence des milliers d’études scientifiques. Ses rapports d’évaluation, publiés environ tous les six à sept ans – six « cycles » à ce jour –, constituent la référence mondiale pour comprendre les mécanismes du changement climatique, ses impacts et les pistes d’adaptation ou de réduction des émissions. Chaque cycle comprend trois volets (bases physiques du changement climatique, impacts et adaptation, solutions d’atténuation) et un rapport de synthèse, ainsi que des rapports spéciaux comme celui sur le changement climatique et les villes actuellement en préparation.
La rédaction d’un rapport mobilise pendant plusieurs années des centaines de scientifiques du monde entier. Les chapitres sont relus et commentés à plusieurs reprises par des scientifiques et par des représentants des États. Son Résumé à l’intention des décideurs (Summary for Policymakers), qui synthétise les résultats pour le grand public et les responsables politiques, est approuvé ligne par ligne par les représentants des États membres, en concertation avec les auteurs scientifiques. Ce processus garantit à la fois la solidité scientifique et l’appropriation des conclusions par l’ensemble des pays.
Au cœur de ce travail international, Météo-France joue un rôle reconnu. « Nous participons à plusieurs étapes, de la production de données à la relecture des rapports, en passant par la rédaction de certains chapitres et surtout par l’écriture des articles scientifiques qui sont synthétisés dans chaque rapport », explique Samuel Somot, chercheur au Centre national de recherches météorologiques (CNRM, Météo-France - CNRS).
Pour le 6e cycle, couvrant la période 2015-2023, plusieurs scientifiques de Météo-France ont été auteurs coordinateurs ou contributeurs, et de nombreuses études issues des travaux des équipes de Météo-France figurent parmi les références retenues, contribuant ainsi directement aux connaissances climatiques internationales.
Comment Météo-France participe au GIEC ?
Un nombre inédit de chercheurs de Météo-France parmi les auteurs principaux des prochains rapports du GIEC
Les équipes du Centre National de Recherches Météorologique (CNRM, Météo-France - CNRS) contribuent aux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Outre la production de simulations climatiques et la publication de nouveaux résultats scientifiques, quatre chercheurs de Météo-France ont été retenus pour la rédaction des rapports du 7e cycle d’évaluation.
Valéry Masson, chercheur spécialisé dans les villes et le climat urbain, contribue comme auteur principal du prochain rapport spécial du GIEC sur les villes, actuellement en cours de rédaction. « Ce rapport se penche sur les défis et opportunités liés au climat urbain. Comprendre comment les villes s’adaptent au changement climatique est un enjeu majeur pour les décennies à venir. »
Météo-France compte trois auteurs principaux, dont deux coordinateurs de chapitre, au sein du groupe de travail 1 : " Bases physiques du changement climatique ".
Aurélien Ribes est auteur principal et coordinateur du chapitre 2 : " Large-scale changes in the climate system and their causes ".
« Mes travaux portent sur l’attribution du changement climatique, c’est-à-dire sur la mesure du rôle des activités humaines dans l’évolution du climat. Cette expertise, qui combine observations, modélisation et méthodes statistiques, est essentielle pour comprendre les tendances passées et préciser les projections futures. »
Roland Séférian est auteur principal et coordinateur du chapitre 9 : " Earth system responses under pathways towards temperature stabilization, including overshoot pathways ". « Je travaille sur la modélisation du système Terre et du cycle du carbone. Ces recherches visent à mieux comprendre les interactions climat-carbone et à quantifier les budgets carbone restants pour limiter le réchauffement à 1,5 °C ou 2 °C. Participer au GIEC, c’est contribuer à une évaluation collective indispensable à l’action climatique. »
Saïd Qasmi est auteur principal du chapitre 5 : “ Scenarios and projected future global temperatures ”. « Mon rôle est de développer des méthodes permettant d’identifier les causes du changement climatique à différentes échelles et d’en quantifier les incertitudes. Cette approche est essentielle pour comprendre comment évoluent les mécanismes physiques du climat et leur prévisibilité. »
Avec ces quatre chercheurs impliqués dans les travaux du GIEC, Météo-France renforce sa place au premier plan de la recherche climatique mondiale, contribuant directement à l’élaboration, la synthèse et la diffusion des connaissances qui éclairent les politiques d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.
Scénarios et projections climatiques : de quoi parle-t-on ?
Un scénario climatique est une hypothèse sur l’évolution future des émissions de gaz à effet de serre (scénarios d’émissions), mais aussi d’autres facteurs comme les aérosols, l’usage des sols et la déforestation, combinée avec des hypothèses sur l’évolution de la population et des usages (scénarios socio-économiques). Ces derniers explorent plusieurs choix de société possibles : modes de consommation, démographie, coopération internationale, développement économique…
Ces scénarios servent ensuite de base aux modèles climatiques mondiaux coordonnés par l’initiative internationale CMIP (Coupled Model Intercomparison Project). Les projections obtenues décrivent plusieurs futurs possibles pour notre planète, allant d’un monde sobre en carbone à un monde très émetteur, et permettent d’estimer l’ampleur du réchauffement planétaire, par exemple +1,5 °C, +2 °C ou +3 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
Météo-France contribue activement à ces travaux, en particulier via ses simulations climatiques, qui alimentent l’initiative du CMIP. Les résultats de ce programme constituent une base scientifique essentielle pour les rapports du GIEC, qui les compile, les compare et les évalue, sans produire lui-même de nouvelles simulations.
Pour aller plus loin : Qu'est-ce que la Trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) ?
6ᵉ rapport du GIEC : les points essentiels
- La planète s’est déjà réchauffée d’environ +1,1 °C entre 1850-1900 et la période 2011-2020.
- Ce réchauffement est d’origine humaine, lié aux émissions de gaz à effet de serre, qui continuent d’augmenter.
- Le niveau moyen des mers a monté d’environ 20 centimètres entre 1901 et 2018.
- Si les pays réalisent les promesses actuelles de réduction des émissions, le monde pourrait se réchauffer d’environ +2,8 °C d’ici 2100.
- Certains effets du changement climatique sont désormais irréversibles, notamment dans les océans, les glaciers, les glaces polaires et sur les calottes glaciaires.
- L’augmentation des phénomènes extrêmes - vagues de chaleur, pluies intenses, sécheresses - est confirmée.
- Plusieurs milliards de personnes vivent déjà dans des territoires directement vulnérables aux effets du changement climatique, y compris des populations des petites îles menacées d’ici 2050.
- Pour limiter les risques futurs, le rapport insiste sur la nécessité d’une réduction rapide, profonde et durable des émissions, visant la neutralité carbone dans la seconde moitié du 21ᵉ siècle.
- Les choix d’actions faits aujourd’hui conditionneront fortement l’ampleur des impacts dans les décennies à venir.
De la planète à nos régions, zoomer sur le climat futur
Comprendre le climat futur de la France exige une analyse à plus fine échelle.. Les modèles de climat CMIP décrivent les tendances globales du climat ou au mieux à l’échelle de grandes régions (par exemple le sud de l’Europe), mais avec une précision géographique pas assez fine pour éclairer l’action locale.
« Les modèles planétaires travaillent avec des mailles de plusieurs dizaines de kilomètres. Ils sont essentiels pour la vision d’ensemble, mais insuffisants pour étudier, par exemple, l’évolution du risque d’inondation dans une vallée alpine dans un climat qui change », précise Samuel Somot.
Pour combler cet écart, Météo-France utilise des méthodes dites de descente d’échelle. Ces approches intègrent les données des modèles planétaires dans des modèles régionaux plus fins, capables de tenir compte du relief, de la proximité de la mer, de l’état de la surface (ville, lac ou forêt) ou des régimes de vents locaux. Elles transforment les projections mondiales en cartes climatiques beaucoup plus détaillées, se rapprochant ainsi des besoins de l’adaptation pour anticiper les températures futures, les régimes de pluie ou la fréquence d’événements extrêmes dans chaque région française.
Cette étape est essentielle pour anticiper des aléas spécifiques : intensité des vagues de chaleur dans une métropole, évolution des précipitations extrêmes sur une vallée vulnérable ou montée du niveau de la mer le long du littoral. Elle permet ensuite aux acteurs spécialisés ou aux décideurs de déterminer les risques et la meilleure manière de s’y adapter. « Nous devons fournir des informations directement exploitables par les collectivités, les gestionnaires d’eau ou les filières économiques », insiste le climatologue.
Les équipes de recherche de Météo-France ont établi des correspondances entre le réchauffement au niveau mondial et au niveau national. Pour un scénario d’environ +3 °C de réchauffement global à l’horizon 2100 par rapport à la période 1850-1900, la France hexagonale et la Corse pourraient connaître une hausse de l’ordre de +4 °C, car les continents se réchauffent plus vite que les océans.
Lire aussi : Le climat futur en France : à quoi s'adapter ?
L’œil de l’expert : des scénarios régionaux pour le GIEC, le projet Cordex
Le programme international Cordex (COordinated Regional Downscaling EXperiment) vise à produire des projections climatiques régionales sur toute la planète. Il complète les modèles climatiques planétaires coordonnés par CMIP en apportant une précision indispensable à l’échelle locale.
Météo-France y contribue en réalisant des simulations climatiques régionales à maillage plus précis pour l’Europe, la Méditerranée, le Pacifique ouest et l’Amérique centrale. Ces données, qui intègrent de manière fine le relief, le trait de côte, l’usage des sols et les régimes des vents locaux, permettent de traduire les grands scénarios mondiaux en projections locales détaillées.
Ces résultats directement utilisés dans de nombreuses publications scientifiques pour faire progresser les connaissances et dans les rapports du GIEC, servent de référence pour l’adaptation au changement climatique.
« Pour que les rapports du GIEC reposent sur des données solides à l’échelle locale, Cordex propose un complément coordonné au niveau international aux modèles climatiques planétaires de l’initiative CMIP », explique Samuel Somot, chercheur au CNRM (Météo-France - CNRS).
Des outils pour se préparer au climat futur de la France
Ces nouvelles données climatiques à l’échelle locale prennent forme dans des outils accessibles à tous, en particulier à travers le portail DRIAS* – Les futurs du climat, développé par Météo-France et ses partenaires. Ce site propose des projections de températures, de précipitations et d’indicateurs climatiques selon plusieurs scénarios d’émissions du GIEC.
« DRIAS permet à tous, des citoyens aux élus, d’explorer les futurs climatiques possibles et d’éclairer leurs décisions », explique Samuel Somot.
Enfin, Météo-France a traduit la Trajectoire de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) définie par l’État en matière d’indicateurs et d’impacts climatiques attendus sur les territoires français pour les 3 niveaux de réchauffement choisis (par exemple, pour la France hexagonale et la Corse, +2 °C à l’horizon 2030, +2,7 °C à l'horizon 2050 et +4 °C à l’horizon 2100).
« La TRACC offre un cadre scientifique commun aux politiques publiques françaises, qu’il s’agisse de gestion de l’eau, d’adaptation des écoles aux fortes chaleurs, de production d’énergies renouvelables, de protection des littoraux ou de planification agricole », détaille Samuel Somot. Construite à partir des scénarios et des modèles de climat validés par le GIEC, mais spécifiquement calibrée pour la France, elle devient une boussole partagée pour concevoir des plans d’action compatibles avec l’évolution attendue du climat.
* Donner accès aux scénarios climatiques Régionalisés français pour l'Impact et l'Adaptation de nos Sociétés et environnement
En traduisant les grands scénarios planétaires en informations concrètes pour la France, Météo-France met ainsi la science climatique au service de la protection des citoyens. « Les décisions que nous prenons aujourd’hui conditionnent notre capacité à faire face aux impacts du changement climatique dans les décennies à venir », conclut Samuel Somot.
À retenir
- Le GIEC évalue et synthétise la recherche mondiale sur le climat. Ses rapports, publiés tous les six à sept ans, font autorité pour comprendre le changement climatique, ses impacts et les pistes d’action.
- Météo-France contribue directement à ces travaux : production de données et d’analyses scientifiques référencées, rédaction et relecture des rapports.
- Les modèles climatiques globaux utilisés par le GIEC fixent les grandes tendances, mais leur précision géographique reste le plus souvent trop grossière pour éclairer l’action d’adaptation à l’échelle locale.
- Les équipes de recherche de Météo-France et leurs partenaires les traduisent en projections détaillées pour la France, grâce à des méthodes de descente d’échelle et des outils de mise à disposition comme le portail accessible au grand public Drias ou des services climatiques à la demande.
- Cette approche fournit aux décideurs des informations fiables et cohérentes avec la TRACC, de l’échelle planétaire à l’échelle locale, pour planifier l’adaptation au changement climatique.