Fake news et climat : du déni au scepticisme
15/10/2021Le climat est un des sujets qui suscitent le plus de fausses informations sur les réseaux sociaux, niant par exemple l’ampleur du réchauffement climatique en cours, ses implications ou son origine humaine. David Salas y Melia, chercheur de Météo-France au Centre national de recherches météorologiques, est intervenu sur le sujet aux Assises internationales du journalisme de Tours le 1er octobre 2021. Il revient sur le sujet.
David Salas y Melia est responsable du Groupe de météorologie de grande échelle et climat (GMGEC). Il travaille sur la modélisation du système climatique global et la variabilité du climat des régions polaires, au Centre national de recherches météorologiques (CNRM). Le CNRM est une unité mixte de recherche constituée par le CNRS et Météo-France.
Qu'est-ce qu'une fake news ?
David Salas y Melia : " Une fake news, ou " infox " en français, est une information mensongère visant à tromper volontairement ou à manipuler. Les fake news sur le climat le plus souvent ne sont pas du même type que celles sur d’autres sujets, comme on a pu le voir sur le Covid-19 par exemple, elles n’ont généralement pas l’apparence de mensonges évidents et peuvent donner l’impression d’une certaine cohérence. Elles visent souvent à relativiser le changement climatique en cours ou à nier l’ampleur des changements nécessaires pour traiter la crise climatique. C’est encore plus le cas en France, où, contrairement aux USA, les fake news semblent désormais moins se manifester par un déni de la science, que par un scepticisme non explicite, un déni des implications pratiques nécessaires pour s’adapter au changement climatique ou l’atténuer, en terme de politiques publiques ou d’actions citoyennes par exemple. Même si le terme de « fake news » n’est entré dans le langage courant en France que vers le milieu des années 2010, les nouvelles mensongères sur le climat existent depuis bien longtemps, et j’ai pu constater qu’elles ont évolué depuis les années 1990. "
En quoi les fakes news sur le climat ont-elles évolué ?
David Salas y Melia : " Il y a encore 10 ans, les climato-sceptiques essayaient de se placer dans le débat scientifique, parfois même en parvenant à publier des études entachées d’erreurs méthodologiques. Mais ces études ont souvent été réfutées et n’ont pas été prises en compte dans les rapports d’évaluation du Giec.
Les climato-sceptiques sont toujours assez actifs. Désormais un peu moins visibles sur les grands médias, ils investissent les réseaux sociaux, où se mêlent informations fiables et opinions. Les sujets abordés ont évolué. Aujourd’hui, il ne s’agit pas tant de nier le changement climatique, que, par exemple, de mettre en doute les solutions proposées, généralement dans le but de chercher des excuses à l’inaction, ou de retarder l’action dans la lutte contre le changement climatique. Cela a fait l’objet d’un article scientifique de l’Université de Cambridge qui analyse que les discours de l’inaction ont toujours les mêmes ressorts qu’on pourrait résumer par “ on n’y arrivera jamais ” (défaitisme), “ de petits changements suffiront ”, ” l’action coûte trop cher ” et “ je bougerai quand les autres bougeront ”. "
Mais comment fonctionnent ces fake news ? Pouvez-vous nous donner un exemple ?
David Salas y Melia : " Entre 1998 et 2013, la température moyenne mondiale s’est réchauffée moins rapidement que depuis le début des années 1980. C’est ce que l’on a appelé le hiatus. D’où la fake news d’un « arrêt du réchauffement » qui remettrait en cause le réchauffement de long terme, voire qui annoncerait un refroidissement sur les décennies suivantes. "
" Afin d’étayer l’idée que le hiatus serait synonyme d’un arrêt du réchauffement, des courbes d’anomalies de température mondiale telles que celle de gauche ont été présentées. L’information trompeuse consistait ici à présenter l’évolution sur une période brève (1998-2012) comme une tendance de long terme, alors que des séries de données, démarrant à la fin du XIXe siècle étaient disponibles. Ainsi, sur la courbe du milieu (1880-2012), il apparaît que ce qui était présenté à gauche comme une tendance n’était qu’un épisode pendant lequel le réchauffement s’était ralenti, ce que confirme la courbe de droite, qui présente les données actuellement disponibles.
Il s’agit là d’un exemple typique de “ cherry picking ”, qui consiste à ne tenir compte que des données qui vont dans le sens souhaité...
On peut citer d’autres exemples de manipulation de données, notamment sur les échelles de temps. Une même hausse de température n’a pas la même signification si elle se produit sur un siècle, comme le changement climatique actuel, ou sur les milliers voire des millions d’années, comme les changements qui se sont produits lors des ères glaciaires et interglaciaires du quaternaire ou à des époques plus anciennes. Un autre exemple consiste à utiliser un épisode météorologique ponctuel, comme une vague de froid intense pour remettre en cause la réalité du réchauffement de long terme. "
En quoi la recherche peut-elle permettre de combattre les fake news ?
David Salas y Melia : " Il y a eu des débats dans la communauté scientifique sur la nécessité d’étudier le hiatus (ou pas !) en réponse à une fake news très répandue. Certains collègues ont souhaité étudier les causes du phénomène, ce qui a permis au passage de faire progresser les connaissances scientifiques et de confirmer que son existence ne remettait pas en cause la réalité du réchauffement de long terme.
Un autre exemple de recherche permettant potentiellement de démentir des fake news est l’attribution. Cette discipline consiste à évaluer les causes (évolution des gaz à effet de serre, particules atmosphériques, etc.) des changements affectant le climat. Concernant le lien entre climat et météo, l’attribution permet même d’évaluer comment le changement climatique, depuis la période préindustrielle, a modifié l’intensité d’un épisode météo donné et les chances qu’il se produise. Il a pu être montré, par exemple, que la canicule de juin 2020 en Sibérie aurait été presque impossible sans réchauffement climatique. "
En quoi est-ce important pour vous de lutter contre les fake news ?
David Salas y Melia : " Il est important de contenir les fake news pour éviter qu’elles ne finissent par être largement perçues comme des faits scientifiques établis, car cela pourrait remettre en cause la mise en place de solutions face au changement climatique. En revanche, il n’est pas possible de lutter contre toutes les fake news qui circulent en mettant en œuvre des actions de recherche spécifiques ou en consacrant beaucoup de temps à y répondre systématiquement. D’une part, la grande majorité des fake news actuelles sur le climat portent sur des points évidents ou déjà tranchés depuis longtemps. Et d’autre part, y répondre peut amener les chercheurs à se détourner de questions scientifiques plus prioritaires. Cependant, certaines objections faites aux sciences du climat il y a quelques décennies ont parfois été utiles au débat scientifique. Par ailleurs, participer à des événements comme les Assises du journalisme, rencontrer des journalistes et les sensibiliser aux fake news climatiques pour qu’ils sachent informer le grand public me paraît très utile. "
Et quels conseils pourriez-vous nous donner pour débusquer les fakes news ?
David Salas y Melia : " Il faut utiliser son sens critique. C. Drummond (Université d’Arizona, USA) suggère les réflexes suivants : quand on lit une “ information ”, par exemple sur les réseaux sociaux, où les fake news foisonnent, on peut s’interroger sur le style d’écriture, sur la crédibilité de l’information, sur la motivation de la personne ou de l’organisme qui publie l’information. Il faut chercher à connaître la source de l’information, et voir notamment si elle vient d’un site ou d’un organisme reconnu. "