Olivier Prohin / Météo-France / L’Œil du climat
Qu’est-ce que l’attribution des phénomènes climatiques extrêmes ?
22/10/2025La science de l’attribution étudie les causes du changement climatique et mesure, de façon chiffrée, la part de responsabilité humaine ou naturelle dans un événement donné. Développée en particulier après la canicule qui a touché l’Europe en 2003, l’attribution s’appuie sur les observations et des modèles climatiques qui comparent un monde « avec » et « sans » influence de l’augmentation des teneurs en gaz à effet de serre d’origine humaine. L’objectif est de quantifier comment le réchauffement a modifié la probabilité ou l’intensité de phénomènes extrêmes (canicules, fortes pluies, sécheresses…) pour mieux comprendre, communiquer et anticiper les risques.
Entretien avec Aurélien Ribes, chercheur à Météo-France, responsable du Groupe de météorologie de grande échelle et climat du Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM, Météo-France - CNRS).
Quelle est l’importance de l’attribution du changement climatique, en particulier pour les phénomènes extrêmes ?
Aurélien Ribes. L’attribution consiste à étudier les causes des manifestations du changement climatique, c’est-à-dire principalement les émissions de gaz à effet de serre, aérosols, mais aussi les perturbations liées à la déforestation, l’agriculture, l’irrigation, l’ozone stratosphérique… Les études d’attribution ont émergé dès les premiers travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à la fin du 20ᵉ siècle. Elles ont d’abord porté sur la hausse de la température moyenne planétaire : les résultats ont rapidement convergé vers la démonstration de la responsabilité humaine du réchauffement planétaire - c’est désormais un consensus scientifique extrêmement solide.
Pour un événement météorologique singulier, comme une canicule, une tempête, un orage, la situation est plus nuancée : la configuration météorologique peut produire l’événement, et le changement climatique intervient en en modifiant éventuellement l’intensité, la probabilité et la fréquence. Autrement dit, le climat rend certains épisodes plus probables et plus intenses, mais il n’est pas nécessairement l’unique facteur déclenchant. Le lien entre influence humaine et épisodes chauds est particulièrement clair : le réchauffement favorise les extrêmes chauds. Pour d’autres phénomènes, comme les fortes précipitations ou les sécheresses, cela peut dépendre de l’événement considéré. Par exemple, on observe déjà que les épisodes de pluie, courts et intenses, tendent à s’intensifier avec le réchauffement, tandis que les tendances à plus longue durée dépendent des régions.
Le réchauffement planétaire actuel, et les phénomènes extrêmes qui en découlent, peuvent-ils être attribués dans leur totalité aux activités humaines ?
A.R. Le réchauffement global observé depuis l’ère industrielle est d’origine humaine - sur ce point il n’y a plus de débat. En revanche, on ne peut pas dire que tous les événements extrêmes soient entièrement causés par les activités humaines. Prenons une canicule : le réchauffement climatique dû aux activités humaines peut ajouter, à titre d’exemple, 2 à 3 °C à un événement donné, mais une part importante de l’événement provient aussi de la variabilité naturelle du climat.
Les études d’attribution cherchent précisément à quantifier ces parts : elles estiment combien la probabilité ou l’intensité d’un événement a été modifiée par le réchauffement anthropique, c’est-à-dire causé par les activités humaines. C’est ce qui permet de distinguer l’effet humain de la variabilité naturelle dans chaque cas étudié.
L’œil de l’expert
Variabilité naturelle, la part du climat qui échappe à l’influence humaine
Même sans intervention humaine, le climat connaît des fluctuations. C’est ce que l’on appelle la variabilité naturelle. Elle provient de phénomènes internes au système climatique, comme El Niño et La Niña, des modifications de la circulation de l’atmosphère et de l’océan qui réchauffent ou refroidissent temporairement le Pacifique tropical et influencent les températures et les régimes de pluie sur une grande partie de la planète. Elle s’explique aussi par les fluctuations de l’activité solaire ou l’effet des éruptions volcaniques. Ces mécanismes peuvent renforcer ou atténuer, sur quelques mois ou années, les effets du réchauffement dû aux activités humaines. C’est pourquoi les scientifiques cherchent à évaluer le rôle éventuel de cette variabilité lorsqu’ils étudient l’influence humaine sur un événement extrême.
En quoi l’attribution et les modèles climatiques sont utiles pour évaluer et suivre la survenue des événements extrêmes ?
A.R. Les modèles climatiques sont au cœur de l’attribution. Ces modèles sont des programmes informatiques qui reproduisent le fonctionnement du système climatique à partir des lois de la physique, de la chimie et de la biologie. Ils divisent la planète en une multitude de cases et calculent, pour chacune, les échanges d’énergie, d’eau, de vents ou de rayonnement, afin de simuler l’évolution du climat dans le temps. Nous utilisons à la fois les modèles planétaires et des modèles à plus haute résolution qui représentent les phénomènes locaux (orages, pluies intenses).
Pour l’attribution, la démarche consiste à comparer deux types de simulations climatiques. Dans l’une, on reproduit le climat tel qu’il existe aujourd’hui, avec l’influence des activités humaines (gaz à effet de serre, aérosols…). Dans l’autre, on simule le climat sans cette influence. En comparant les deux, on peut mesurer à quel point le réchauffement a modifié la probabilité ou l’intensité d’un événement.
On peut aussi comparer les durées de retour. À titre illustratif, un événement dit « centennal », c’est-à-dire qui se produit en moyenne une fois tous les 100 ans, pourrait voir sa durée de retour passer à 20 ans (c’est-à-dire se produire en moyenne une fois tous les 20 ans), sous l’effet du réchauffement, et donc devenir beaucoup plus fréquent. La durée de retour n’est qu’une autre manière d’exprimer une probabilité : un événement centennal a en moyenne 1 % de chance de se produire chaque année, mais cela peut en pratique survenir deux fois en vingt ans comme une seule fois en deux siècles.
Il existe cependant des limites : certains phénomènes à très petite échelle (grêle, rafales sous orage, éclairs) sont mal représentés par les modèles actuels. Dans ces cas, l’attribution est plus délicate.
Où en est-on aujourd’hui dans la recherche sur l’attribution des événements extrêmes ?
A.R. C’est une science encore jeune, mais qui progresse rapidement. Depuis quelques années, des équipes comme World Weather Attribution, Climameter, ou certains services nationaux et européens, par exemple Copernicus, cherchent à analyser de plus en plus systématiquement les événements extrêmes et à publier leurs résultats peu de temps après leur survenue. On n’en est encore qu’au début : les méthodes continuent d’évoluer, elles sont de plus en plus utilisées pour informer et sensibiliser, mais il n’existe pas encore de service totalement opérationnel capable de répondre à toutes les questions ou de traiter tous les événements.
L’intelligence artificielle peut-elle aider ?
A.R. L’Intelligence artificielle (IA) commence à être testée, voire utilisée à différents niveaux dans la chaîne de calcul des études d’attribution, par exemple pour accroître la résolution ou générer davantage de données. Mais aujourd’hui, il n’existe pas de méthode d’attribution « purement IA ». C’est un outil utile, qui complète les approches traditionnelles, sans les remplacer pour le moment. Cela évoluera peut-être.
À quoi servent concrètement ces études d’attribution ?
A.R. Elles ont plusieurs usages. Le premier est la communication : elles aident le grand public et les décideurs à comprendre l’influence humaine sur les événements extrêmes à impact. Le second est d’éclairer l’adaptation, en évaluant la probabilité d’occurrence d’événements dans le passé, le présent et le futur, pour mieux planifier et se préparer aux extrêmes de demain.
Enfin, elles pourraient à l’avenir être utilisées pour pointer des responsabilités, et nourrir les discussions sur la justice climatique ou sur les mécanismes internationaux de « pertes et dommages ». Ces perspectives restent encore prospectives, mais l’attribution éclaire déjà le lien entre émissions historiques et impacts observés, et rappelle la nécessité de s’adapter à des extrêmes qui deviennent plus fréquents et parfois inédits.
Quels scénarios pour l’évolution des événements extrêmes ?
A.R. Sur l’évolution des extrêmes, certains signaux sont très robustes. Les extrêmes chauds (canicules et situations conduisant à des niveaux de températures inédits) deviendront plus fréquents et plus intenses. Les extrêmes froids, eux, deviendront moins fréquents et moins sévères.
Pour les fortes précipitations, on attend généralement une intensification des épisodes courts et intenses (pluie sur quelques heures), tandis que les tendances pour les épisodes longs (plusieurs semaines ou saisons) dépendent des régions : certaines zones vont s’assécher en moyenne, d’autres s’humidifier.
L’évolution des sécheresses est souvent plus claire : les sécheresses agricoles et écologiques, correspondant à un déficit d’eau dans le sol, vont s’aggraver dans de très nombreuses régions, parce que l’évaporation augmente avec la température, même si le cumul de pluie ne diminue pas nécessairement.
Sur le plan hydrologique, pour les mêmes raisons, on s’attend à des étiages (débits faibles des rivières) plus marqués, en particulier dans une large moitié sud de la France.
Pour aller plus loin : Qu'est-ce que la Trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) ?
À retenir
- L’attribution du changement climatique permet de mesurer la part due aux activités humaines et celle de la variabilité naturelle dans les caractéristiques des phénomènes extrêmes.
- Le réchauffement d’origine humaine rend les épisodes chauds (canicules, niveaux de chaleur inédits) plus fréquents et plus intenses, tandis que les vagues de froid deviennent plus rares.
- Les modèles climatiques comparent un climat « avec » et « sans » influence humaine pour évaluer l’effet du réchauffement sur la probabilité et l’intensité d’un événement.
- Les études d’attribution servent à mieux comprendre, communiquer et anticiper les risques climatiques, et guider l’adaptation des sociétés.
- Les recherches progressent rapidement, mais certaines incertitudes demeurent, notamment pour les phénomènes très locaux (grêle, orages).